YOLO
5

Oct

2022

You Only Live Once

Par AN

« Elle met du vieux pain sur son balcon, pour attirer les oiseaux, les pigeons »

C’est le seul moment qu’elle prend pour elle dans cette journée sans fin, répétitive où tout recommence toujours au lever du soleil, comme au premier jour.

« Elle vit sa vie par procuration, devant son poste de télévision »

Non.

La comparaison s’arrête là.

Entre le poire et le fromage elle a donné son avis sur les relations humaines, les rapports entre les êtres, les interactions qui la passionnent, la beauté des gens qui la touchent. Elle en fait sa vie, elle s’en nourrit, elle s’élève en relation à l’autre.

Au souper de boîte de son mari, entourée de malettes à cravates et de sacoches à talons hauts, on la toise, on la rembarre. Qu’est-ce que tu en sais toi, tu ne bosses pas depuis 20 ans, tu ne peux pas comprendre, tu n’es pas dans la vraie vie, c’est pas ça la vie !

« Elle apprend par la presse à scandales, la vie des autres qui s’étale » 

Bizarrement elle les a bien senti passer entre ses 2 cuisses, 4 fois, les beaux bébés qui avaient pris vie en elle, s’étaient épanouis dans ce bain bienfaisant et protecteur pendant 9 mois.

Elle a donné la vie, comme beaucoup avant elle et beaucoup après elle. Elle a eu mal, elle a pleuré, elle a nourri, bercé, recouvert, accompagné, relevé, soigné, transporté, guetté, veillé, senti, respiré leurs cheveux, leur odeur, pansé leurs plaies, encouragé leurs pas, leurs coups de pédales, leurs coups de gueule.

Consolé leur coups de spleen, elle a ri de leurs chutes, de leurs onomatopées, de leurs revendications naissantes, amusantes, pris au sérieux leurs sérieuses revendications adolescentes, acidulées.

 

 

 

 

Elle a ri de gaieté, de fierté, d’émotions devant leur ascension.

Elle a aimé leurs amis, leurs anniversaires, leurs amours, leurs pleurs, elle a pleuré, consolé, enlacé, recouvert, embrassé leurs joues, leurs yeux, leurs mains, leurs pieds, leur nuque. 

Attendu au fond de la nuit dans l’obscurité du silence, bleutée, que la clé tourne enfin dans la serrure, en retour de soirée.

Froncé les sourcils et creusé ses ridules, déambulé dans le couloir noir, vérifié l’écran du portable 60 fois à la minute, 60 minutes par heure, désemparée par leurs lits vides, là elle aurait voulu pouvoir râler sur leur chambre en désordre.

« Levée sans réveil, avec le soleil, sans bruit sans angoisse, la journée se passe »

Non.

Tout le temps dans l’angoisse du possible, possible événement de rupture, de rupture de joie, de rupture de joie de vivre.

C’est fébrile la vie, ça tient à un fil. Elle le sait, elle le sent, elle le ressent, elle le voit, le découvre, le vit tous les jours.La vie tient à un enchevêtrement de fils qui se tissent et se détissent. Elle le vit, ça la traverse, la transperce 60 secondes par minute, 60 minutes par heure.

Soupir.

« De moins pire en banal, elle finira par trouver ça normal »

Non.

Rien n’est banal. Tout est passion, exception, respiration, vie.

Tollé chez ceux qui connaissent la vie, ceux qui entre la poire et le fromage ont écouté son réquisitoire pour la vie. Au souper de boîte de son mari, les cravates et les talons hauts la fixent comme un ovni, qu’ils sont.

photos by tania.emery.ch