Entretien fictif
par AN
V : – J’aime bien votre voix, ça passe bien.
A : – Merci.
V : – Vous êtes AN, c’est juste ?
A : – Oui.
V : – Vous nous écrivez souvent, à V. et moi, non ?
A : – Oui.
V : – Pourquoi vous faîtes ça ? (en aparté pour le public, c’est vrai je leur ai écrit plein de fois… en leur disant ce que je pensais d’une émission ou d’un spectacle).
A : – Je ne sais pas précisement, je n’arrive pas trop à savoir pourquoi. En tous cas, ce n’est jamais pour critiquer négativement ou me permettre de savoir mieux que vous et vous dire quoi faire.
V : – C’est très étrange…
A : – Oui… En fait, comme vous me donnez l’opportunité d’y réfléchir, je crois que j’ai toujours aimé aller à la rencontre des artistes, de pouvoir discuter avec eux sur leur performance, leur expérience de la scène…Dans mon esprit ça rejoint le fait que j’ai toujours aimé le spectacle.
Y participer et le regarder.
Dans mon village de campagne d’enfance, tous les ans, l’école organisait LA séance, au mois de mars … (c’est comme ça qu’on l’appelait, LA séance) une soirée le samedi soir et rebelotte l’après-midi du dimanche. La séance !! c’était un weekend en dehors du temps, de flottement…Le spectacle de l’école, avec des chansons des danses des poésies et des extraits de contes, mais pas que, un groupe de parents jouaient une ou deux pièces en 2ème partie de soirée et ensuite les jeunes qui avaient quitté l’école primaire, revenaient pour cette soirée avec une danse contemporaine ou une pièce. Et c’était présenté par un animateur amateur, mon père, en l’occurrence, qui tenait le micro, et qui tous les ans, avec son acolyte (respectivement médecin et cafetier de profession), inventait des personnages, pour présenter les saynètes, et animer les intermèdes. On rigolait beaucoup, on était tous, enfants et parents très investis dans nos rôles. On était suivant le moment de la soirée, acteur et spectacteur.
Dans la grande salle des fêtes, le parquet avait été ciré dans la semaine, spécialement pour l’occasion, et sentait bon , ça glissait, on installait des bancs en bois les uns derrière les autres, en rang d’oignons jusqu’au fond. Celles et ceux qui ne montaient pas sur scène étaient chargés du parking, remplissaient les verres au bar ou faisaient tourner les crèpes et les galettes-saucisses sur les galetières.
Oui on est en Bretagne. En 1980. Il y avait un vestiaire, un billet d’entrée et un tampon sur le poignet, il faisait chaud et on ne pouvait pas ouvrir les fenêtres parce qu’elles avaient été punaisées de plastique noir des emballages pour le foin, pour les obscurcir, pour faire le noir dans la salle. On est dans la Bretagne rurale et campagnarde, pas chez les bobos. On a répété pendant les heures d’école, autorisant une parenthèse, pour ma part bienvenue, dans le programme de maths, ou après la traite des vaches, ou encore avant de retourner faire le maïs, parce c’est le moment de le couper, on va y passer la nuit, sur le tracteur après la répétition, ou avant une urgence médicale ou vétérinaire qui nous tient dehors aussi une partie de la nuit.
J’ai vu les gens rire autant pendant le spectacle que pendant les heures de répétitions et d’organisation. Chacun savait ce qu’il avait à faire et le faisait suivant ses compétences naturelles. On y allait au feeling aussi, avec ses tripes, sans peur du ridicule. Aucun statut socialne régissait les relations.
On pouvait être agriculteur timide et bourru dans la vie, ET être très touchant sur la scène, tenancier de café sérieux, ET acrobate, médecin consciencieux ET clown, le temps de ce weekend de fête.
En tant qu’enfant, on aimait faire partie du tout. On aimait voir nos propres parents, les autres adultes se lâcher, et se marrer, car ce n’était pas toujours drôle la vie de paysan, un certain déterminisme n’avait pas toujours permis de s’éloigner du destin de reprendre la ferme du père.
Il n’y avait pas de différence, on participait à organiser les coulisses ou les costumes. Les soirs de spectacle, ça fourmillait d’ailleurs dans les coulisses, on venait 3 heures avant, on entrait par la porte derrière pour accéder directement à l’arrière scène, ne pas se faire voir de notre public, on adorait ça ! , j’adorais ça… On testait le rideau, on se maquillait en rigolant, et trop, les cheveux se mouillaient de transpiration, on suait sous les sous-pulls en nylon, et le bleu posé aux yeux 2h
avant (on choisissait toutes et tous bleu, on n’avait pas le droit en temps normal ! ) faisait des halos bleu ciel tout autour, avec des étoiles au milieu, on réparait les crépons qui lâchaient au dernier moment avec un bout de ficelle, on rougissait de chaud et d’excitation d’être dans cette ambiance festive, hors du temps, ou tout le monde jouait un autre rôle que d’habitude, mais tellement juste et à sa place.
Alors quand j’ai déboulé à Paris, à 25 ans, pour y faire un travail sérieux, je me régalais le samedi à midi de choisir une place pour le soir même, dans le Pariscope parmi la foultitude de propositions de spectacles, et d’aller la retirer au kiosque.
Et je ne comprends que maintenant pourquoi j’ai toujours eu envie après le tombé de rideau, de filer dans les coulisses pour parler avec la troupe et sentir leurs émotions post performance. Je n’y allais pas évidemment, mais je mettais du temps pour quitter mon siège, et je trainais à l’entrée ou au bar s’il y en avait un, pour avoir une chance de ne serait-ce qu’envoyer un sourire de remerciement à celles et ceux qui venaient de se donner pour le public.
Mais c’était rare que je les croise.
Ici en Suisse romande, à 43 ans, je me suis enfin formée en amateur, et je retrouve enfin cette excitation de petite fille d’aller en salle de répétition, de filer se préparer dans les coulisses, d’installer les chaises, de sentir ce pincement au niveau du bide, signe à la fois de joie et de peur, de trac…
Et je retrouve aussi peut-être cette proximité entre les artistes et le public, tous les deux plus faciles d’accès, comme à l’époque de mon enfance. En discutant avec vous maintenant, je pense que votre pratique de l’art sur scène et à la télévision, proche des gens, a sûrement réveillé sans que je m’en aperçoive, cette envie de donner mon avis, au feeling, comme lors de ces séances, en campagne bretonne, ou tous les avis comptaient…
Voilà, mon plaidoyer, justifiant de mon interventionnisme, naïf.
V : – Je vois…
A : – Cette attitude appartient au monde merveilleux de l’enfance, ou tout est possible, mais je crois aussi que tous ces adultes pensaient que tout était possible…et ils me l’ont transmis…
Evidemment, la vie fait que parfois on perd cette naïveté, cet élan, je crois que je la retrouvais en vous écrivant, d’ailleurs vous n’êtes pas les seuls à qui j’ai écrit, ou réussi à parler après un spectacle… et c’est toujours un moment fugace que j’adore.
V : – Je comprends, vous voulez faire partie de l’équipe ?
A : – Oui.
V : – Rendez-vous lundi, au théâtre.